Oppenheimer (2023)

Constitué en partie de scènes tournées en noir et blanc - dans le but de dissocier du récit en couleur la rencontre puis le conflit qui opposera le piquant scientifique au susceptible et revanchard amiral Strauss, personnage aussi fourbe qu'insignifiant -, le film s'entrecoupe d'incessants sauts temporels, ce qui aura le don d'en agacer plusieurs.

Quelques notions (très) élémentaires de physique quantique éviteront de ne pas devoir aller rechercher sur Wikipedia la signification de certaines répliques, dont la célèbrissime "Dieu ne joue pas aux dés") d'Albert Einstein. De même que le spectateur un minimum averti pourra apprécier à leur juste valeur les effets visuels qui retranscrivent à la perfection les concepts abstraits élaborés dans le bouillonnant cerveau du génie - effets qui, soit dit au passage, se situent à des années-lumière au-delà des interminables divagations hallucinées du monumental ratage que fut l'adaptation de la bande dessinée Blueberry.

Selon toute logique, un biopic retraçant la vie du concepteur de la bombe atomique se devait de décrire avec un minimum de détails le cheminement théorique et/ou pratique qui mena à sa réalisation. Sans cela, autant raconter l'histoire de l'inventeur du pain en tranches. Ici, hélas, les férus de techno-sciences (et de gros pétards) devront se contenter d'une minute à peine (sur trois heures !) au cours de laquelle on survolera (de très haut) la problématique de la détonation synchronisée des lentilles explosives. Cette absence d'explication est pour le moins décevante, surtout lorsqu'on sait que la mise au point sur place de leur détonateurs de type "Bridge-Wire" fut la condition sine quoi non permettant l'établissement symétrique de la masse supercritique par implosion. Sans cette invention providentielle, la bombe aurait causé autant de dégâts qu'une charge de C4 un peu musclée.

Ce manquement scénaristique difficilement compréhensible serait mieux passé s'il avait été compensé par une analyse plus poussée des motivations profondes de notre héros déchu puis réhabilité. Ce ne fut pas le cas, et l'histoire se focalisant surtout sur les causes de sa perte d'accréditation de sécurité, le mystère de l'homme reste entier.

Neanmoins, qu'ils soient profanes ou spécialistes, tous s'extasieront devant le décorum impeccable, le remarquable jeu des acteurs (Cillian Murphy mérite sans conteste un Oscar), le rendu et la texture sublimes de la "pellicule", sans oublier une bande originale émotionnellement très puissante.

Toutes ces qualités se retrouvent habilement réunies au travers d'un montage que l'on pourra de prime abord trouver un peu brouillon (on perd vite le fil lorsque l'on n'est pas attentif, et ce ne sont pas les sous-titres défilant à la vitesse de la lumière qui aideront à s'y retrouver) mais qui par la suite prendra tout son sens et achèvera, à la toute dernière fin, de consacrer dans notre mémoire ce brillant plaidoyer en faveur d'une conscience que l'on imagine tiraillée entre la morale, le devoir et la nécessité.